Élections : le lawfare en pratique en Bolivie et Équateur

Dernière minute :
Luis Arce, candidat du Mouvement vers le socialisme (MAS), a remporté, dès le 1er tour, l'élection présidentielle bolivienne du 18 octobre avec 55,1% des voix.  Le taux de participation a été de 88%.
Le MAS a également obtenu la majorité absolue au Sénat et à la Chambre des députés.
«Les citoyens ont voté librement et le résultat a été clair et catégorique», a déclaré le chef de la mission d'observation de l'OEA, Manuel Gonzalez. 

 

Le lawfare a encore de belles années devant lui en Amérique Latine. Pensé durant la guerre froide par des militaires étasuniens, il définit l’utilisation de la loi (law) pour faire la guerre (fare). Autrement dit l’instrumentalisation politique de la justice. La liste des cas en Amérique Latine est longue. Les présidentielles en Bolivie dimanche 18 octobre et en Équateur le 7 février 2021 nous en apportent de tristes exemples.

Instabilités politiques et institutionnelles

Au début de tout cela il y a toujours un terreau d’impunité et d’instabilité. Dans le cas de l’Équateur, il y a une trahison politique. Celle de Lenin Moreno, vice-président de Rafael Correa jusqu’en 2013 et dont la candidature aux élections présidentielles de 2017 a été soutenue par l’ex-Président. Mais une fois élu, celui-ci est devenu un fervent opposant à Correa au point d’instrumentaliser la justice pour l’empêcher de se représenter. Celui qui promettait pendant sa campagne la poursuite de la révolution citoyenne, s’est appliqué dès son élection à la restauration du pouvoir des marchés, en s’alignant sur la politique étrangère étasunienne.

En Bolivie la situation est encore plus complexe. Le pays vit depuis les élections présidentielles d’octobre 2019, l’un des coups d’État les plus emblématiques de l’histoire latino-américaine depuis la fin des dictatures militaires. Dans un contexte politique déjà dégradé, la droite et extrême droite avaient annoncé qu’elles n’accepteraient pas un nouveau mandat d’Evo Morales. Sa victoire, incertaine, avait été obtenue à 0,5 % de voix près. L’Organisation des États Américains (OEA), poussée par des opposants, avait organisé un audit qui s’est prononcé sur une fraude. Evo Morales avait été contraint de démissionner. Entre-temps, l’armée et l’opposition ont pris leurs quartiers au Palais présidentiel et des centaines de militants du MAS (Mouvement vers le Socialisme) ont été agressés. Depuis l’audit a été contesté et un centre de recherche a prouvé qu’il s’était trompé.

Persécutions politiques et judiciaires

En Bolivie, la démission de Morales a considérablement affaibli son camp qui a subit persécutions et intimidations politiques. L’organisation Human Rights Watch a publié en septembre un rapport indiquant que des centaines de militants ont été placés en détention immédiate sans jugement alors que les accusations « paraissent motivées par des intérêts politiques » sur la base de « preuves infondées, des violations du processus pénal, des restrictions de la liberté d’expression et l’usage excessif et arbitraire de la détention préventive ». Malgré cela et après deux reports de nouvelles élections présidentielles qui devaient initialement se tenir quelques mois après la démission de Morales, les voix des dirigeants politiques internationaux pour défendre la démocratie bolivienne se font rares.

En Équateur, le bilan contrasté laissé par Rafael Correa a contribué à créer un terreau fertile dans l’opinion aux accusations de corruption dont il fait l’objet et pour lesquelles il vient d’être condamné en deuxième instance à 8 ans de prison. Les mêmes procédés se retrouvent avec Lula au Brésil et Cristina Kirchner en Argentine. Dans les trois cas, les procès se tiennent à quelques mois de l’élection présidentielle où l’accusé est justement … candidat. Les preuves sont faibles et nombreux sont les conflits d’intérêt des juges. En effet, à son arrivée, Lenin Moreno a nommé des juges anti-correistes pour s’assurer de l’éviction de son principal adversaire.

Éviction des candidats et des partis

Evo Morales et Rafael Correa ont ainsi été empêchés de se présenter. En août, la candidature de Correa au poste de vice-président de son ancien ministre Andrés Arauz a été validée par des primaires internes. Mais la justice, arguant de règles inédites, a exigé que les candidats se rendent physiquement au tribunal pour enregistrer leur candidature. Or, Rafael Correa est exilé en Belgique. La candidature du ticket Arauz/Correa ayant tout de même été déposée le 23 septembre, la justice a ordonné la détention de Rafael Correa et lancé un mandat d’arrêt international pour invalider sa candidature. Son successeur Carlos Rabascall avait jusqu’au 3 octobre pour s’inscrire avant que sa candidature soit examinée par le Conseil national électoral.

Déjà le 15 septembre, la même instance avait supprimé du registre électoral des partis politiques l’étiquette Fuerza Compromiso Social avec laquelle le parti correiste Revolución Ciudadana espérait participer aux élections. Or, Fuerza Compromiso Social a déjà été enregistrée légalement il y a 4 ans et a participé à 3 scrutins et même remporté trois victoires électorales.

En revanche à droite, l’ex banquier Guillermo Lasso a vu sa candidature validée alors que, selon le journal argentin Pagina 12, il viole le code électoral équatorien. En effet, il est lié par son fils à l’une de ses entreprises historiques offshore qui a fait sa fortune, la BANISI HOLDING S.A, basée au Panamá. Or, selon la loi équatorienne, les candidats à un poste public ne peuvent avoir de liens avec un paradis fiscal.

De son côté Evo Morales, en exil en Argentine, est accusé par la Bolivie de sédition, de terrorisme et d’écocide. La Justice a rejeté début septembre sa candidature au Sénat. Et, plusieurs recours ont été déposés à la cour pour rendre inconstitutionnelle la participation du MAS aux scrutins du 18 octobre.

Un possible retour de la gauche ?

Les résultats aux deux élections présidentielles en Bolivie et en Équateur seront entachés par un processus électoral violé à plusieurs étapes et la période qui suivra connaîtra probablement des instabilités durables.

En Bolivie où Evo Morales avait gagné à une très courte majorité en octobre 2019, le candidat du MAS, Luis Arce, fort parmi les ouvriers, les indigènes, les paysans et tous les secteurs populaires, était donné gagnant au premier tour. Il lui fallait 50 % de voix ou 10 points d’avance sur son adversaire à droite Carlos Mesa pour espérer l’emporter au second face à l’union des partis d’opposition qui se fera contre lui. Le retrait de l’actuelle présidente par intérim, Jeanine Añez, juste avant le 1er tour, a fait croître Mesa dans les sondages et un petit candidat, Jorge Quiroga, s’est désisté pour, « éviter le risque que le MAS accède au pouvoir ».

En Équateur, la campagne est à peine commencée. Et le « ticket de l’espoir », celui de Arauz et Rabascall, n’est même pas encore sûr d’être autorisé à participer. Les enquêtes d’opinion sont encore aléatoires, mais il est tout de même possible d’affirmer que le très mauvais bilan de Lenin Moreno peut leur servir de levier. Une étude réalisée par le Centre Stratégique Latinoaméricain de Géopolitique (CELAG) au cours de l’été indique que 83,4 % des équatoriens désapprouvent son gouvernement.

Depuis octobre 2019, de très fortes manifestations se sont déclenchées en Équateur contre les coupes budgétaires réalisées par Moreno et pour plus de justice sociale. Elles ont maintenu leur force, avec l’aggravation de la situation pendant la pandémie du Covid-19. Mais, comme pour Morales, cette demande de changement ne se reportera pas nécessairement sur les candidats soutenus par Correa, qui ne fait plus l’unanimité auprès des classes populaires et l’électorat de gauche.

Florence Poznanski

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