Des bonnes raisons d’aimer le foot !

A l’heure de la Coupe du monde de football, Mickaël Correa publie un livre retraçant l’histoire du football à travers les classes et luttes populaire.

Au début du mois de mai dernier, une partie de la France s'est prise à rêver, comme cela lui arrive encore, autour de l'affrontement inespéré, en finale de Coupe de France, entre le club amateur des Herbiers (Nationale 1, troisième division), un « petit poucet », et l'ogre qatari du Paris Saint-Germain, déjà champion de France des clubs professionnels. Il n'y eut pas de miracle et cette triste finale gagnée sans honneurs aura été l'occasion de voir ce que de plus en plus d'amateurs du football regrettent, le plus souvent à part eux : des super-stars surpayées mais peu enclines à l'amour du maillot, des tribunes sans réel entrain car vidées de leur substance populaire et des écarts de performance tels entre sport professionnel et sport amateur que l'éventuel affrontement des deux vire à la farce.

C'est de ce constat actuel du pourrissement par la tête du poisson footballistique que part Mickaël Corréa dans son Histoire populaire du football, parue en mars 2018 à La Découverte. Reprenant le fil de l'évolution de ce sport codifié pour la première fois dans les public schools des élites anglaises à l'apogée de l'empire britannique, il montre comment cette histoire s'écrit en réalité sur deux plans différents. Selon qu'on s'intéresse au sport institutionnel et sa forme actuelle dégénérée qu'est l'industrie du football, ou bien à la pratique du ballon rond, polymorphe et traversée de secousses liées aux grands mouvements d'émancipation depuis le XIXe, et même avant, dans les formes les plus anciennes du jeu, jusqu'au début du XXIe, que ce soit sur le terrain ou dans les tribunes.

Balayant toutes les époques de l'expansion footballistique, depuis les pratiques moyenâgeuses en butte aux autorités seigneuriales ou ecclésiastiques jusqu'au football de rue des cités françaises du XXIe siècle en passant par l'industrialisation et les mouvements décoloniaux, l'ouvrage traverse également un grand éventail de réalités géographiques et nationales. De nombreux chapitres éclairent ainsi des histoires sans doute peu connues des lecteurs français. On y découvre Miss Nellie Gilbert qui était à 14 ans déjà, en 1895, la meilleure joueuse du British Ladie's Football Club. Elle incarna la lutte des femmes pour renverser la hiérarchie masculine dans ce sport : au machisme journalistique, qui sévissait également sur les terrains et dans les tribunes, elle répondra par son talent sans appel et, alors même que le foot féminin est interdit depuis six mois, elle sera la capitaine d'une équipe féminine vainqueur 3-1 des hommes de Biggleswade, en 1902. Plus récemment, l'auteur évoque les « ultras » du club Alhawy, le club du Caire populaire, né au début du XXe siècle dans la lutte contre l'occupant britannique. Entre 2007 et 2011 ce groupe de supporters particulièrement fervents, formé sur un modèle tunisien, affronte la caste d'Hosni Moubarak – et ses forces de police – de manière violente, hors de tout cadre partisan ou syndical, selon des coordonnées politiques apparemment brouillées, exigeant avant tout d'accéder au stade comme ils l'entendent et s'opposant aux dirigeants de leur club, liés à l'oligarchie cairote. Dans un contexte de crise de régime généralisée, le passage du football à l'action politique sera immédiat, à travers les réseaux sociaux et face à la répression terrible qu'ils subissent. Aussi ces supporters-militants seront-ils aux premières loges des manifestations de la place Tahrir en 2011…

Une chose similaire se produira au même moment autour des ultras d'Istanbul opposés au régime d'Erdogan, tandis qu'un quart de siècle plus tôt, les zapatistes du Chiapas s'emparaient du ballon rond pour en faire un symbole de la lutte des peuples indigènes qui durera jusque dans les années 2000, voyant même Banski jouer dans leur équipe comme gardien de but.

À côté de ces histoires méconnues il reste le constat que le jeu de ballon est un lieu d'émancipation collective et individuelle, dans la Palestine occupée comme dans les clubs ouvriers français du début du XXe siècle mais aussi pour les femmes. Une pratique populaire donc, incontrôlable et pourtant toujours soumise aux injonctions diverses, patronales, commerciales ou nationalistes. La forme même du jeu, qui impose la coopération des joueurs à tous les postes dans la passe, fonctionne pourtant comme un marqueur de classe et une métaphore politique : face aux individualistes libéraux c'est dans l'unité que la victoire sera acquise.

Clément Fradin

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