Analyse des résultats du 2nd tour : un vote par défaut

Le "triomphe" apparent de Macron face à Le Pen a masqué médiatiquement une autre réalité politique, sans précédent pour le second tour d'une présidentielle : l'ampleur cumulée de l'abstention et des votes blanc et nul qui représentent 34% des électeurs inscrits, ce qui en fait la deuxième réalité politique du pays, largement devant le vote pour Le Pen (22% des inscrits au second tour).

16 millions d'abstentions, blancs et nuls

Un double record historique pour une élection présidentielle est atteint lors de ce second tour : celui en général du total de voix "non exprimées" et celui en particulier du nombre de votes blancs et nuls qui dépasse les 4 millions. C'est aussi la première fois depuis 1969 que l'abstention progresse au 2nd tour (25%) par rapport au 1er (22%), dans un mouvement exactement inverse à celui constaté dans une situation apparemment similaire en 2002 entre Chirac et Le Pen, où l’abstention était passée de 28 à 20% entre les deux tours.
À l'image de l'opinion exprimée par les Insoumis lors de la consultation organisée entre les deux tours par leur mouvement, c'est dans les départements où Jean-Luc Mélenchon était en tête (Seine-Saint-Denis, Ariège, Martinique, Guyane) où sont atteints les records nationaux de voix non exprimées. La carte des communes où le vote blanc est le plus important recoupe aussi assez nettement celle des communes où Jean-Luc Mélenchon était arrivé en tête au 1er tour. Ainsi, sous ses différentes formes, jamais la non expression dans un vote n'avait exprimé aussi fortement jusqu'ici un choix civique de conscience. C'est le signe que le crise politique qui gronde est loin d'être terminée et que l'énergie de la révolution citoyenne peut rapidement remettre la société en mouvement.

Le Pen 3e du second tour

78% des citoyens inscrits sur les listes électorales n'ont pas voté pour Le Pen. Cela montre que l'appel de la France Insoumise à ne pas voter pour Le Pen est en phase avec une très large majorité civique des Français. D'ailleurs selon les sondeurs eux-mêmes, seulement 7% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon auraient voté pour la candidate de l'extrême droite. Le Pen progresse cependant en voix, pour obtenir un record historique de 10,6 millions de suffrages pour le FN, preuve que Macron et son programme ne représentent pas un rempart sérieux face au FN. Cette progression du FN est toutefois relative car son score est proche de la somme des voix obtenues au 1er tour par Le Pen et Dupont-Aignan, avec lequel elle était alliée pour le second. Et Le Pen ne l'emporte finalement au second tour que dans 45 circonscriptions alors qu'elle était en tête dans 216 au 1er tour, ce qui montre que rien n'est joué d'avance pour les législatives.

Macron président par défaut

Emmanuel Macron ne triomphe pas. Son score est très loin de celui obtenu par Jacques Chirac en 2002. Le candidat RPR avait obtenu 82% des suffrages exprimés quand Macron n’en obtient que 66%. Surtout Jacques Chirac avait obtenu 62% des électeurs inscrits, alors qu'avec seulement 43,6% des inscrits, Macron obtient un score très proche de ceux des vainqueurs de duels « classiques » entre PS et droite comme Nicolas Sarkozy en 2007, François Mitterrand en 1981 et 1988 ou Valery Giscard d’Estaing en 1974. Et tout juste supérieur au 41% des inscrits obtenus par François Hollande en 2012, et ce malgré l’élan d’un vote anti-FN pourtant réel.

En voix, la comparaison avec 2002 est encore plus cruelle. Là où Jacques Chirac obtenait 25 millions de voix, le candidat d’En Marche n’en obtient que 20,7 millions alors que le corps électoral a augmenté de 6 millions d’électeurs sur la même période. Surtout, là où Jacques Chirac multipliait son nombre de voix par 5 entre les deux tours en gagnant 20 millions de suffrages, Emmanuel Macron ne le multiplie que par 2,4 en ne gagnant que 12 millions de voix. Le prétendu « rempart » Macron fut donc bien peu mobilisateur. L’élection d’Emmanuel Macron est d’abord la défaite de Marine Le Pen, à l’image de l’élection par défaut de Xavier Bertrand ou Christian Estrosi aux élections régionales dans les Hauts de France ou en PACA en 2015.

M. Macron bénéficie du soutien massif de la droite. Bien sûr, certains électeurs fillonistes du premier tour ont voté Le Pen ou se sont abstenus. Mais le résultat de quelques bastions de droite ne laisse pas de doute sur le transfert massif de voix de Fillon vers Macron entre les deux tours. Ainsi, à Neuilly-sur-Seine où François Fillon est arrivé en tête au 1er tour avec 65% des voix, Emmanuel Macron obtient 89% au deuxième tour. Le total des voix de MM. Fillon et Macron était de 29 000 au premier tour (quand Jean-Luc Mélenchon n’en obtenait que 1100) et M. Macron obtient 25 000 voix au 2e tour. Sa progression est tout juste freinée par une hausse de 5 000 voix non exprimées (abstentions, blancs et nuls) et une progression de la candidate FN de 1500 voix seulement par rapport au total Le Pen/Dupont-Aignan du 1er tour. Même chose dans le très chic 16e arrondissement de Paris où Macron obtient 87% des exprimés et 59 000 voix contre 85% et 74 000 au 1er tour pour le total Macron/Fillon. La déperdition se fait essentiellement dans l’abstention et les votes blancs et nuls qui progressent de 12 000 en cumulé et marginalement dans le vote FN. Dans ses bastions de riches, la droite a massivement voté Macron.

Une partie des électeurs de Jean-Luc Mélenchon a fait de même. Dans les grandes villes où le candidat de la France insoumise arrivait en tête au 1er tour, Emmanuel Macron atteint des sommets comme à Lille (89%), Montreuil (87%) ou Saint-Denis (84%). Mais ces scores ne doivent pas masquer une forte hausse de l’abstention et des votes blancs et nuls. Dans toutes ces villes, le nombre de suffrages exprimés recule de 10 points pour atteindre par exemple à peine 56% à Saint-Denis, 62% à Montpellier et Gennevilliers, 63% à Lille. Dans les villes ayant porté Mélenchon au plus haut, le score de Macron est loin d’être le plébiscite que les seuls pourcentages des suffrages exprimés pourrait laisser paraître.

Ce choix par défaut est aussi corroboré par les enquêtes d’opinion réalisées le jour du vote par les instituts de sondage. IPSOS affirme par exemple que 43% des électeurs de M. Macron au 2e tour ont voté pour lui pour exprimer d’abord leur opposition à Marine Le Pen et seulement 16% par adhésion à son programme. Et IPSOS comme SOFRES affirment que seul un tiers des électeurs souhaitent qu’Emmanuel Macron dispose d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale après les élections législatives. Le nouveau monarque a pu fêter son élection au Palais du Louvre tant il doit son élection au mode de scrutin de la Ve République. Mais il aura du mal à cacher la faiblesse politique dans laquelle il est. Les élections législatives peuvent donc porter une autre majorité au pouvoir et le priver ainsi des pleins pouvoirs.

Matthias Tavel et Laurent Maffeïs

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