Revenu de base, salaire à vie : les enjeux

Face au capitalisme financier et à ses conséquences néfastes en terme de précarité, de pauvreté et de chômage, deux écoles de pensée proposent une solution : d’un côté le revenu de base et de l’autre, le salaire à vie. Cet article se propose d’aborder de façon synthétique ce débat souvent confus et technique.

Un revenu de base, universel ou d’existence…

Sous ses appellations diverses, le revenu de base est une idée à la mode ! Benoît Hamon en propose une expérimentation sous la forme d’un revenu universel de 750 € par mois, Manuel Valls se dit également intéressé. Nathalie Kosciusko-Morizet en défend une version à 470 €, soit nettement en dessous du niveau actuel du Revenu de solidarité active (RSA, 525 €en septembre 2016). Elle souhaite même le financer par un impôt proportionnel, c’est-à-dire le plus inégalitaire qui soit (flat tax).
Ce premier scénario consiste à reconnaître le « marché du travail » qui fonctionnerait selon des logiques de prix et d’équilibre entre une « offre de travail » (les personnes souhaitant travailler) et une « demande de travail » (proposée par les entreprises). Ce marché accorderait un salaire aux individus selon qu’ils peuvent accepter de travailler au prix auquel on le leur propose. Pour combattre les inégalités et s’attaquer à la pauvreté, le revenu de base cherche alors à «partager les richesses» déjà produites. Pour assurer les moyens à cette redistribution, c’est l’instrument fiscal de l’impôt qui s’imposerait.
Actuellement, le « modèle social » français adopte en partie cette logique en attribuant des prestations aux ménages ou individus les plus en difficulté. C’est ce qui fonde notamment le filet de sécurité du RSA. Mais il impose des démarches administratives pour vérifier les conditions de ressources par exemple. Il peut engendrer une stigmatisation des ayant-droits ou un manque d’information et ainsi être à l’origine d’un non-recours (une personne ayant droit au RSA ne le demande pas). Pour y remédier, le principe du revenu de base propose une aide inconditionnelle accordée à toute la population, sans démarche ni condition. Il s’appuie sur la reconnaissance d’un « droit à un revenu » de la part de la société en versant une somme aux individus indépendamment de sa situation économique (il peut dépendre de l’âge ou de la configuration familiale selon les variantes).

… ou un salaire socialisé ?

Une autre piste est parfois avancée, elle privilégie l’action en amont de la chaîne de production. Il s’agirait d’organiser la sortie du capitalisme par la généralisation de la cotisation. Au lieu de partager les richesses en aval, ce scénario, socialiste, envisage de socialiser les moyens de production à leur source. Il s’agit de reconnaître le droit à décider collectivement ce qui est produit, comment, où, pour quoi, et à quel prix. Dans les faits, au lieu de redistribuer des revenus par la fiscalité, la cotisation s’applique directement à la racine de la production dans son ensemble. Les richesses socialisées par une cotisation étendue seraient directement versées aux salariés, même en situation d’incapacité de travailler ou en difficulté transitoire. Tout citoyen serait cotisant et rémunéré selon sa qualification (la reconnaissance de ce qu’un individu peut et sait faire) sans lien avec son emploi (au sens de l’occupation de travail quotidienne). Cette socialisation de l’économie reconnaîtrait ainsi le «statut de producteur» à toute la population. En un sens, ce salaire à vie se rapproche du principe des intermittents du spectacle, qui déconnecte en partie le salaire versé de l’emploi exercé. Il proclame que ce sont les qualifications de la personne qui sont rémunérées, et non son statut d’activité actuel. D’une certaine manière, cela généralise le statut de fonctionnaire à l’ensemble des actifs, qui disposeraient d’un grade les rémunérant, déconnecté de leur fiche de poste.

Le piège de la simplicité

Le non-recours aux droits sociaux est déterminant dans la lutte contre la pauvreté : des millions de personnes ne demandent pas les aides auxquelles ils ont droit, ou ignorent comment procéder. Mais pour autant, il ne semble pas nécessaire de verser une allocation à tout le monde et donc à celles et ceux qui n’en n’ont pas besoin pour vivre. Les financements nécessaires au revenu de base sont immenses, de l’ordre de plusieurs centaines de milliards d’euros. C’est de l’ordre de l’ensemble du budget actuel de l’État ou bien de toutes les retraites versées. Cela ne se ferait donc pas sans supprimer d’autres aides sociales telle que l’aide aux adultes handicapés, les prestations familiales ou les aides aux chômeurs en fin de droit, etc. faisant perdre jusqu’à plusieurs centaines d’euros par mois à des centaines de milliers de ménages. Cela reviendrait à donner un peu à tout le monde alors qu’il semble plus pertinent de cibler les plus modestes et d’adapter le système socio-fiscal aux différentes situations. Que ce soit Manuel Valls ou Benoît Hamon, aucun des deux ne donne les sources complètes de financement pour la création d’un revenu universel, ni comment seront traités les prestations sociales existantes (suppression ou fusion au risque de faire de nombreux ménages perdants).
En outre, il est en réalité possible d’organiser l’automaticité des droits existants (par exemple, l’inscription automatique à Pôle emploi suite à la perte d’un emploi signalée légalement à l’Urssaf). Le recours à l’emploi public est également une réponse immédiate et lisible permettant également d’avancer vers la République sociale. En effet, abandonner tous les liens entre revenu, d’un côté, et travail salarié de l’autre repose sur l’hypothèse hasardeuse et contestée de que toute forme d’activité crée une valeur économique.

Des réponses immédiates

Le versement universel de revenus pose deux problèmes de taille. D’abord, il reconnaît une contrepartie monétaire à des activités sociales questionnables, comme les femmes aux foyers ou l’éducation des enfants à domicile. Il semble illusoire que chaque individu puisse déterminer seul les activités qui le rendent socialement éligible à un revenu. La frontière entre travail et loisir est également inévitable, et c’est ce que permet la réduction du temps de travail. Permettre à tous de travailler, en travaillant moins, renforce le droit au loisir à l’ensemble de la population, et éviter de créer une société à deux vitesses.
Ensuite, ces deux projets ont pour écueil commun de réduire la question sociale à un volet essentiellement monétaire. Or il est plus efficace, grâce aux économies d’échelle notamment, d’investir directement dans la gratuité de la santé, de l’éducation, de l’alimentation et des transports, plutôt que de verser des chèques aux individus. À titre d’exemple, 100 € versés à 6 000 personnes, cela représente le coût d’une nouvelle école primaire pour le village ! Cela revient à mettre à disposition un « patrimoine collectif gratuit » plutôt que d‘en verser l’équivalent en argent liquide.
Enfin, la mise en place du salaire socialisé correspondrait à sauter du capitalisme néolibéral au communisme intégral. Mais il est nécessaire de penser les transitions, notamment par l’élargissement progressif de la cotisation ou le maintien des revenus des individus dans toutes les situations, telles que les formations ou la perte d’emploi.

Boris BILIA
Hadrien TOUCEL

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